DÉMARCHE ARTISTIQUE

A la base, cette phrase de Paul Klee : « l'art ne reproduit pas le visible, il rend visible ».

 

Ma démarche s'inscrit dans cette finalité.

 

Ma peinture n'est ni « abstraite », ni non-figurative, mais plutôt « non- représentative ». Ce qui m'intéresse, c'est de mettre en question le privilège de l’œil comme moyen d'investigation de la nature et du monde ; comme l'ont fait par ailleurs la science et la technique.

 

En ce sens, je ne cherche pas à rejeter la tradition. Tout au contraire. Le dialogue entre les anciens et les modernes est constitutif de l'histoire de la peinture. Celle-ci s'est nourrie, enrichie, autant de ce que le monde lui livrait que de ses propres audaces passées. Pour moi, rechercher la modernité sous la forme d'une « tabula rasa » est au mieux une illusion, au pire une impasse. Bachelard, autre source d'inspiration fructueuse, disait qu'il n'y a qu'un moyen de faire avancer la science : donner tort à la science constituée ; mais il ajoutait que cette généralisation par le non doit inclure ce qu'elle nie.

Un deuxième plan essentiel s'impose : celui du voyage que je propose au « spectateur ». Un terme que je ne renie pas puisque ma peinture se donne d'abord sur le mode de la vision. Là aussi, la construction picturale doit viser à déjouer les pièges d'une représentation qui limite et qui ferme. Engager vers autre chose que la recherche stérile et somme toute décevante de la « vérité » de l’œuvre peinte, de l'authenticité de sa référence à une quelconque réalité ou à simple possible.

 

Ce que je cherche, c'est à ouvrir des possibilités de parcours : autant de spectateurs, autant de parcours. A travers l'agencement des 4 éléments que je propose - architecture, couleur, mouvement et matière -, c'est l'intervention du spectateur qui pose la relation, qui relie les divers éléments distribués sur la surface, qui « in-forme » l’œuvre. Le tableau n'est que ce que Kant nomme « les conditions de possibilités de l'expérience ». L’œuvre est le produit de l'investissement du spectateur.

 

Recherche consciente d'une « œuvre ouverte » où la sensibilité est première. Il me paraît qu'elle est la plus à même de solliciter le spectateur pour mieux l'appeler à se projeter. Gratter la surface visible. Saisir son mouvement. Saisir comme le fait le symbole : ni comprendre, ni imiter ; épouser.  « Parce que l'imagination est d'abord le pouvoir d'unifier le sensible.  Elle n'ajoute pas de l'imaginaire à la réalité mais elle grandit cette réalité jusqu'à l'imaginaire qui achève de l'unifier ».

 

D'où ma volonté de me détacher de l'individualité des choses pour pénétrer le monde des relations, des tensions contradictoires, de la confusion et de l'indistinct aussi. Autant d'échos des situations que nous vivons chaque jour, à chaque instant qui sont toute confusion, ombre et lumière, chaud et froid et, qu'à chaque instant nous chargeons d'un certain sens. Pourquoi raconter la vie de manière linéaire ? S'il est un sujet consensuel, c'est bien celui de la vie comme effervescence, comme conflictualités, comme fugacité. Qu'est-ce que le paysage pour le coureur de formule 1 ? Qu'est-ce que le ciel pour l'astrophysicien ? Comment « rendre » les sensations d'un travailleur enchaîné à son marteau-piqueur ? Comment peindre les infinis petits ou grands qui sont là sans se donner à voir autrement que par intermittences ?

Ainsi dans la lignée des recherches contemporaines sur « l’œuvre ouverte » développées notamment en musique, il s'agit de considérer l’œuvre d'art comme un « moment » fondamentalement ambigu, mais encore de faire de cette ambiguïté une fin explicite de l’œuvre, une valeur à réaliser de préférence à toute autre. Mais cette œuvre en mouvement ne nous propose pas un sens qui aurait un caractère légitime, ni un sens lisible immédiatement par tous. Miles Davis disait " Je le joue, je vous expliquerai ensuite. "

 

L'humanité a accumulé une masse de savoirs qui ne font jamais somme ; elle s'est dotée de quantité d'instruments qui lui permettent de lire la réalité derrière le réel. L'art est certainement une de ces expériences du monde, mais par ses étincelles, par ses éclats.  Pas d'histoires ! Seulement des fragments, des ébauches, des clins d’œil, des regards amoureux, des sonorités, des caresses... Laisser chacun voir ou plutôt ressentir d'abord. Entrer dans l'épaisseur du monde et de l'humain.

 

C'est au mouvement de la vie que je m'intéresse, dans ce qu'elle a de plus fugitif, de rare, et pourtant de riche et d'enveloppant. Un accueil dans l'intime d'une matière où la délicatesse et la force se conjuguent pour composer un univers improbable. Loin du sujet figé, loin de la représentation qui veut inviter à penser ou à reconnaître, elle nous offre des instantanés, ces petits plis de l'existence, ces entrelacs, ces traces, ces froissements dans lesquels la personne peut se déployer tout entière. Comme elle nous y invite, laissons-nous envahir par ces moments où le sentiment de plénitude rejoint sans l'abolir la fugacité de l'instant.

« Etre artiste, c'est donner forme à ce que l'on pense, ce que l'on sait et ce que l'on sent » dit Art Spiegelman.

 

Certains ajouteraient « au risque de s'y perdre » mais s'y perd-on vraiment ? Ou alors, peut-être, comme ce peintre chinois de la légende qui trouva son tableau si merveilleux qu'il y entra !

 

Françoise BOGARD.

 

 

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